Cinq siècles après Colomb La route de la découverte

L’Amérique se mérite. En 1492, Christophe Colomb atteint l’île de San Salvador pensant rallier l’Asie dont Marco Polo a tant loué les richesses. Le navigateur rejoint l’autre rive de l’Atlantique au prix de 70 jours de mer dans des conditions de vie et d’hygiène exécrables pour ses dizaines d’équipiers. Cinq siècles plus tard, la mer n’a pas changé. En revanche, les marins, leurs bateaux et leurs instruments de navigations n’ont plus rien à voir. Aujourd’hui, un homme seul sur un trimaran de 30 mètres portant près de 600 mètres carrés de voile peut traverser d’Est en Ouest en moins de 10 jours. Face à une telle accélération, la quête de records sur ce terrain de jeu désormais bien connu de l’Atlantique demande pourtant toujours aux hommes de repousser leurs limites.

Voici trois jours que Thomas Coville s’est élancé de Cadix sur la même route que Christophe Colomb pour une tentative de record sur la bien nommée ‘Route de la Découverte.’ Le skipper mange actuellement son pain noir. Il traverse une zone de vents moyens et particulièrement instables. Ce ralentissement n’est pas une surprise mais il est le prix à payer pour atteindre le vent en bordure de l’anticyclone des Açores.

Là où les explorateurs se déplaçaient avec les étoiles, subissaient la météo et suivaient les grands courants, Thomas et ses routeurs observent en temps réel l’évolution des systèmes météos afin de placer au mieux le trimaran sur l’échiquier atlantique. Néanmoins, il arrive que dans les zones d’instabilité, toute la technique du monde atteigne ses limites. A l’image de Colomb, le sens marin et la connaissance de son bateau restent alors les meilleurs atouts.

De la patience du navigateur

Depuis le lever du jour, la vitesse moyenne dépasse difficilement les 20 nœuds alors que le retard sur Francis Joyon, détenteur du record, se stabilise ces dernières heures autour des 170 milles.  »Toute la difficulté est de dessiner la trajectoire la plus rectiligne possible dans cet univers capricieux, » explique le routeur Jean-Luc Nélias. ‘’Thomas traverse comme il peut cette zone instable avec toute la toile sur le pont, c’est à dire grand voile haute et grand gennaker. Ce passage délicat va durer encore cette nuit et demain.’’ En effet, Sodebo et son skipper posent actuellement cartes sur table. Ils investissent sur cette route Nord peu commune et ne pourraient récolter les fruits de leurs efforts qu’en approche de l’arc antillais en début de semaine prochaine.

De la patience donc, une autre arme sûrement bien familière des grands découvreurs.

Dans le sillage de l’histoire
Né à Gênes, citoyen portugais et mandaté par la couronne espagnole pour trouver une nouvelle voie maritime vers les Indes, Christophe Colomb y a consacré une grande partie de sa vie. Le 3 août 1492, il entreprend le premier de ses quatre voyages vers l’Ouest. Il appareille de Paleos de la Frontera, dans le Golfe de Cadix en Andalousie, avec 90 hommes d’équipages et trois bateaux : deux caravelles, la Nina et la Pinta, et une nef, la Santa Maria.

L’armada fait escale du 9 août au 6 septembre dans le port de Las Palmas sur l’île de Gran Canaria pour y réparer les navires et faire le plein de bois, d’eau et de vivres. Colomb glisse ensuite plein Ouest suivant les alizés de Nord-Est. Mi-septembre, les équipages découvrent un océan tapissé d’herbe et pensent arriver près des terres. Ils auraient en réalité traversé la Mer de Sargasses qui s’étend de la Floride aux Bermudes.

Les bateaux s’immobilisent dans un vent presque nul. Les vivres commencent à manquer et l’inquiétude d’être perdus en mer envahie les marins. Les jours passent sans une terre en vue. Le 7 octobre, le commandant de Nina est victime d’une illusion d’optique. C’est alors que Colomb a l’idée de suivre les oiseaux et de changer de cap à l’Ouest-Sud Ouest ce qui garantira son succès.

Le 12 octobre, à deux heures du matin, un marin de la Pinta voit la terre. Les vaisseaux attendent le lever du jour pour accoster. Pensant rallier le Japon, idée qui ne le quittera pas jusqu’à sa mort, Christophe Colomb enregistre alors cette île au nom de l’Espagne et la baptise San Salvador.

C’est précisément ce petit ilot des Bahamas qui marque l’arrivée du record de la Découverte.

“J’aime ces histoires où de grandes découvertes naissent de l’aléatoire et même d’une erreur comme ici de la part de Christophe Colomb,’’ confiait Thomas avant son départ. ‘’On savait peu de choses sur le monde maritime à l’époque. Ces marins subissaient la météo, avançaient à tâtons dans des conditions de vie particulièrement éprouvantes. L’imprévisible décidait de tout alors qu’aujourd’hui le principe de précaution régit beaucoup de nos actions.’’

Sodebo, la liberté a du bon !