Après 45 jours et 3 heures de course, Thomas Coville a franchi mercredi après-midi à 16h30 l’équateur dans le sens sud-nord. Ce jeudi, le skipper de Sodebo Ultim 3 est deuxième de l’Arkea Ultim Challenge-Brest à moins de 1 900 milles du leader, Charles Caudrelier (en arrêt aux Açores depuis mercredi matin). De retour dans l’hémisphère Nord, Thomas revient sur cette traversée de Pot-au-Noir particulièrement éprouvante physiquement et mentalement.
C’est décidément un véritable marathon à l’échelle planétaire qu’endurent les cinq skippers encore en mer sur la première édition de l’Arkea Ultim Challenge-Brest. Entre avaries techniques parfois synonymes d’escales forcées, longs moments de solitude dans les mers du Sud, violentes dépressions et périodes de « molle » qui mettent les nerfs à rude épreuve, ces pionniers du tour du monde Ultim passent par tous les états.
Thomas Coville y compris, lui qui a vécu cette semaine une traversée du Pot-au-noir particulièrement éprouvante, qu’il a racontée dans la nuit de mercredi à jeudi : « Je sors d’une journée vraiment pas facile pour moi. Ce passage du Pot-au-noir aura été très long, difficile et fastidieux. C’est une zone tellement aléatoire qu’on se sent complètement démuni, avec des vitesses très lentes, pas acceptables pour nos bateaux, auxquelles on n’est pas habitué. »
« Une sieste est la chose la plus précieuse au monde »
Et le skipper de Sodebo Ultim 3 de poursuivre, à propos de cette zone intertropicale qui peut engendrer de violents grains comme des absences totales de vent : « La photo satellite fait vraiment peur quand on la regarde, on est à la merci d’énormes nuages. On devrait s’extasier tellement c’est beau, mais j’avoue que je n’ai pas réussi à être dans cet état d’esprit. La progression a vraiment été lente, le Pot-au-noir remontait avec moi dans le nord, j’avais l’impression que les efforts et la débauche d’énergie que je faisais pour manœuvrer afin de passer chaque grain et chaque nuage ne servaient à rien. Cette transition a été un peu douloureuse en termes de milles perdus et d’énergie engagée. »
Dans ces conditions, entre nécessité d’être vigilant au moindre grain, particulièrement de nuit, et de sans cesse manœuvrer pour exploiter les caprices d’Eole, Thomas confie avoir passé « deux nuits entières sans dormir », avant d’ajouter : « Au moment où je vous parle, je retrouve des vitesses de nouveau acceptables, je vais essayer de m’octroyer une petite sieste, ce qui, pour un marin en Ultim en solitaire, est la chose la plus précieuse au monde. Je ne sais même plus ce que veut dire une nuit entière, ça fait 45 jours que j’ai perdu cette notion. Sachez que quand vous dormez le soir ou faites une petite sieste, c’est extrêmement précieux ; en être privé pendant autant de temps, c’est complètement « marteau ». Quand les gens nous demandent ce qui nous manque le plus en mer, quitte à les décevoir, je leur réponds que c’est dormir sans être obligé de mettre l’alarme. C’est la chose la plus difficile à gérer sur ce genre d’épreuve, car elle détermine votre humeur, votre énergie, votre lucidité, votre appétit, votre plaisir. »
Le virage à droite après les Açores
Ce jeudi, Sodebo Ultim 3 commence à toucher les alizés de nord-est de l’hémisphère Nord, ce qui va permettre à son skipper de se projeter vers le dernier tronçon du tour du monde, la remontée de l’Atlantique Nord. « Je suis rentré dans l’hémisphère Nord mercredi, je remets la tête à l’endroit, au sens propre comme au sens figuré. Je suis encore vraiment dans l’instant, heure après heure, pour sortir enfin de cette séquence douloureuse, derrière, m’attendent les alizés qui vont nous faire remonter vers l’anticyclone des Açores et prendre ce virage à droite qui nous ramène vers la maison. »
Comment voit-il ses derniers jours de course ? « Les conditions ont l’air d’être beaucoup moins engagées que celles qui ont obligé Charles (Caudrelier) à s’arrêter aux Açores. Il a fait ça en bon marin, il avait emmagasiné au début de course suffisamment d’avance pour ne pas être inquiété par Armel ou moi sur la suite du parcours, ça fait rêver ! »
Pour le skipper de Sodebo Ultim 3, solidement installé à la deuxième place, se dessine maintenant un duel final avec Armel Le Cléac’h, qui compte ce jeudi plus de 500 milles de retard sur lui. « Ça fait plusieurs semaines qu’on est en bagarre avec Armel, il a été obligé de s’arrêter (le week-end dernier à Rio pour deux avaries de safran), chapeau bas d’ailleurs à son équipe qui a réussi à faire des choses incroyables en 48 heures. On se retrouve du coup de nouveau l’un avec l’autre pour ce dernier tronçon. J’ai un bateau plutôt en bon état, je le bichonne, je le préserve, je fais ma ronde tous les jours pour en inspecter les quatre coins, voir s’il y a de l’usure, des mouvements parasites, écouter les bruits. » Il faut bien cette routine quotidienne pour aller au bout de cette épopée.
A environ 3000 milles de Brest (5556 km sur la distance théorique), une estimation d’arrivée ? « Je n’ai pas d’ETA à vous donner aujourd’hui et je n’aime pas donner d’estimation d’arrivée, car je suis vraiment dans l’instant présent de ce tour du monde » que Thomas Coville devrait achever, si tout va bien, en fin de semaine prochaine.